Ce que Viktor Orban fait subir à la Hongrie


Idées – Point de vue | LEMONDE.FR | 31.01.12.

Des journaux de grand prestige à ceux moins connus sur la scène internationale, l’ensemble de la presse occidentale est désormais capable d’énumérer avec plus ou moins d’exactitude, mais en comprenant parfaitement l’essentiel, les mesures et les lois par lesquelles le premier ministre hongrois Viktor Orbán a liquidé la démocratie en Hongrie. Selon la formule imagée employée récemment par l’ancien premier ministre Gordon Bajnai: „Ils ont brisé méthodiquement, vertèbre par vertèbre, l’échine de la démocratie hongroise.”

D’un point de vue formel, Orbán s’y appliqua en respectant les règles fondamentales de la démocratie parlementaire et de l’Etat de droit: les lois sont votées par le Parlement et le pouvoir exécutif est soumis à ces lois. Dans les faits, cependant, le premier ministre hongrois a cyniquement et brutalement abusé de tous les principes, normes et pratiques que le monde occidental a péniblement élaborés au cours des siècles dans l’intérêt de la „bonne vie” de ses citoyens. Prévoyant, Orbán a transformé depuis longtemps son parti, le Fidesz, en un organe exécutif totalement soumis à son chef, sans volonté et sans opinion. Depuis le revirement à droite d’Orbán en 1995, tous ceux qui exprimaient une opinion tant soi peu différente de la sienne ont quitté son parti, de leur plein gré ou sous la contrainte. La „représentation populaire”, la majorité des deux tiers dont jouit aujourd’hui le Fidesz au Parlement n’a ainsi d’autre tâche que de représenter la volonté du premier ministre. Au lieu de défendre les citoyens contre les abus d’un pouvoir arbitraire, les lois de Viktor Orbán défendent les conceptions arbitraires de Viktor Orbán sur le pouvoir, l’économie et le peuple.

Ce qui se passe aujourd’hui sous le règne du Fidesz ne peut donc être comparé ni aux pratiques démocratiques occidentales, ni à celles des gouvernements hongrois qui l’ont précédé. L’Europe a du mal à comprendre ceci, ce qui n’est pas étonnant, il en va de même pour les Hongrois.
Je voudrais illustrer par trois exemples pourquoi la vraie nature de ce que Orbán fait subir à son pays est difficile à appréhender.


LA NATIONALISATION DES FONDS DES CAISSES DE RETRAITE PRIVÉES

A la fin de 2010, Viktor Orbán a nationalisé les quelque 3000 milliards de forints (environ 10 milliards d’euros) accumulés par les citoyens hongrois dans les caisses de retraite privées. A peine une centaine de milliers de personnes osèrent le braver en décidant de conserver leur compte de retraite privée, acceptant ainsi la sanction entraînée par leur décision, c’est-à-dire la perte de tous leurs droits à la retraite d’Etat. Fin 2011, Orbán annonça la modification de la loi qu’il fit passer un an plus tôt, et paracheva la nationalisation des retraites par le reversement dans les fonds de pension de l’Etat des cotisations privées de ces quelque cent mille personnes.

Jointe à la politique économique „non orthodoxe” d’Orbán et de ses bras de fer répétés avec les marchés et les institutions de l’Union européenne, cette décision explique pourquoi les Hongrois ont commencé à déposer leur argent à l’étranger. Il s’agit là d’un mouvement de masse, qui ne concerne plus seulement les personnes fortunées, mais aussi les petits épargnants qui veulent mettent à l’abri leurs quelques milliers d’euros d’économies. Signe de l’afflux, il faut compter désormais deux semaines d’attente pour obtenir un rendez-vous dans les banques autrichiennes. Il est donc inutile que gouvernement ouvre une enquête pour déterminer „par tous les moyens disponibles”, comme l’a déclaré récemment le porte-parole du premier ministre, pourquoi les Hongrois craignent pour leurs dépôts bancaires. La raison en est évidente. Car si rien au cours des vingt derniers mois n’a empêché Orbán de mettre la main de manière arbitraire et brutale (quoique formellement légale) sur l’épargne privée de ses concitoyens, rien ne garantit que quiconque pourra s’y opposer dans l’avenir.


LE CAS DE KLUBRÁDIÓ

Orbán a compris que le monde occidental ne saurait que faire du fait que dans son système, les règles de droit sont établies dans le but exprès de servir de paravent à l’arbitraire du pouvoir. L’Union européenne n’a, elle, d’autre outil à sa disposition que d’exiger le respect du droit. Il était clair que la nouvelle réglementation des médias et les personnes nommées à la tête de la nouvelle autorité de surveillance, le Conseil des médias, seraient une arme dont Orbán pourra user à tout moment pour limiter la pluralité de la presse. Cependant, l’UE a estimé que tout ce qu’elle pouvait faire était d’objecter contre les dispositions juridiques contrevenant formellement au droit communautaire. Après les bravades d’usage, Orbán amenda les dispositions critiquées. Il savait qu’il pouvait le faire sans risque, tous les atouts demeuraient entre ses mains. La perte de fréquence par Klubrádió, la seule radio restée d’opposition, en est un exemple parfait. L’autorité de tutelle des médias a été mise en place de manière légale, ses membres ont été nommés légalement, le Conseil des médias a lancé un appel d’offre tout ce qu’il y a de plus légal pour le renouvellement de la fréquence et a déterminé en toute légalité les conditions d’attribution pour enfin trancher parmi les candidats de manière tout aussi légale — sauf que toute l’opération n’avait d’autre but que d’étouffer la seule radio que le gouvernement ne pouvait contrôler. (L’ensemble des médias publics est dirigé depuis longtemps par des personnes inféodées au régime, nommés eux aussi en toute conformité avec le droit en vigueur). C’est ainsi qu’on assure la voie à l’arbitraire du pouvoir en se dissimulant derrière les apparences de la légalité.


DES ATTRIBUTIONS DU PROCUREUR GÉNÉRAL

Au vu des méthodes du premier ministre hongrois, on peut aussi se demander comment croire que si Viktor Orbán satisfait finalement aux conditions posées par l’UE et le FMI pour l’attribution du crédit demandé par la Hongrie, il ne profitera pas de la première occasion donnée pour s’y soustraire. Les précédents, en effet, ne manquent pas. En décembre dernier, le Conseil constitutionnel a annulé l’article de loi selon lequel dans certains matières pénales particulières, le procureur général — autre fidèle d’Orbán — a le droit de choisir le tribunal qu’il juge „digne de confiance” pour l’examen de l’affaire. (Parmi ces matières pénales particulières se trouve la procédure, motivée de toute évidence par un désir de vengeance politique, engagée contre l’ancien Premier ministre Ferenc Gyurcsány.) La disposition ainsi abrogée fut aussitôt intégrée par le parlement d’Orbán dans la „nouvelle” constitution sur laquelle le Conseil constitutionnel n’a pas de droit de contrôle... Qu’est-ce qui garantit qu’Orbán n’usera pas de pareil subterfuge pour déjouer les conditions de l’accord que Tamás Fellegi, son ministre sans portefeuille, est chargé de conclure avec l’IMF et l’UE ?

Tant que Viktor Orbán et son parti, le Fidesz, détiennent les rênes du pouvoir en Hongrie, ni les Hongrois, ni l’Europe ne sont en sécurité. En effet, Orbán comprend parfaitement le mode de fonctionnement du monde occidental et pense avoir trouvé le moyen d’être plus malin que ce dernier. Il sait que l’Occident ne comprend pas, ne connaît pas les techniques d’intimidation étatique, car il ne juge que sur la base de faits et des données: combien de fois, où, quand, comment les droits de l’homme, les règles de l’Etat de droit et de la démocratie furent-ils bafoués ? Sauf que l’Etat totalitaire suscite la peur et commande l’obéissance bien moins par sa législation que par son mode de fonctionnement répressif, les menaces qu’elle fait planer sur ses citoyens craignant pour leur subsistance, et l’armée de ses fidèles mercenaires. L’Occident semble avoir oublié les mécanismes subtils par lesquels un régime totalitaire se met en place. S’il ne s’efforce pas de les comprendre, il sera sans défense face à l’absence de scrupules de dirigeants tels que Viktor Orbán.

Comme l’a justement noté Jean-Christophe Rufin dans Paris Match, lorsqu’il s’agit de déjouer les normes et les institutions de la démocratie, Orbán est terriblement inventif et rusé: „il a, en effet, l’intelligence de le faire à la mode d’aujourd’hui, c’est-à-dire en respectant la forme de la démocratie pour mieux en trahir le fond.”

C’est précisément pour cette raison qu’à l’heure actuelle, la Hongrie et l’Union européenne sont désarmés face à Viktor Orbán.


Zsófia Mihancsik, Rédactrice en chef de www.galamus.hu
Traduit de l’hongrois par Miklós Konrád

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Vos réactions
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Hum_Hum: Les „retraites privées” évoquées étaient obligatoires et ont enrichi les banquiers tout en rendant les retraites moins justes. On revient à un système de retraite public avec cotisations obligatoires, comme en France. C’est surtout aux financiers qu’Orban s’attaque. On s’émeut pour la radio qu'ils finançaient, mais est-ce qu’il y a une radio PS en France? D’ailleurs, en France, qui fait les lois? Les députés et leurs services, sans pression de l’exécutif?

Le Bret: Le parallèle qui me vient à l’esprit est la chute de la République romaine. Jules César s’est toujours fait attribuer ses pouvoirs ’exceptionnels’ tout à fait légalement par un vote du Sénat. Dans la forme, Rome était encore une république, mais dans les faits César se comportait comme un empereur.”

Alain Fumey: Je ne comprends pas très bien: il a été élu par une majorité des 2/3 sur un programme annoncé. Aurait-on modifié récemment les règles démocratiques? Les gouvernements choisis par les peuples doivent-ils être validés par les fonctionnaires européens et les medias? Plus gênant, aurait-on dernièrement modifié des définitions fondamentales dans les traités internationaux votés à l’ONU?

Fil: Pour vous aider à comprendre: Mussolini obtint des scores électoraux de 60 à 95 %. Hitler n’eut pas la majorité absolue en 1933 mais un score qui lui permit d’accéder légalement à la chancellerie. Considérez-vous qu'il convenait de les traiter en démocrates respectables?

Jean-Claude Meyer: si tout cela est aussi clair, je ne vois pas pourquoi l’UE serait désarmée face à ce sinistre individu et doit-on le rappeler, il a été élu démocratiquement. encore de l'intimidation? les électeurs sont tellement stupides qu'ils se laissent arnaquer par des belles paroles (il n'y a pas qu’en Hongrie!) et après ils pleurnichent sur leur sort. alors on aime toujours la démocratie?

Pierre Guillemot: La Démocratie (tout le monde vote, la majorité a raison, on rejoue régulièrement) a amené Berlusconi en Italie, Sarkozy en France, Orban en Hongrie, et d'autres que les gens au courant pourront citer. Il faut donc en finir avec la démocratie qui fait n'importe quoi, et réserver le choix des hommes qui gouvernent à une élite éclairée par des principes de bon gouvernement et attentive à l'harmonie sociale. Je sais, Churchill était d'un autre avis, mais il est mort.

Luluc: „Dire que son parti et l’UMP appartiennent au PPE européen!”



Mihancsik Zsófia



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